A Montpellier, les leçons de laïcité du nouveau maire.

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Elu en juin, le socialiste Michaël Delafosse continue son travail de professeur d’histoire-géographie et enseigne trois heures par semaine. «Libération» est allé assister à un cours. Au programme : les Lumières, la tolérance, et le blasphème.

Les grandes tragédies accouchent de toutes sortes de douleurs. Chacun les évalue, les assimile en regard de sa propre expérience. L’assassinat de Samuel Paty a bousculé les consciences. La figure d’un professeur de collège convoque la mémoire du plus grand nombre. Les souvenirs des cours d’école refont surface. Comme après chaque attaque terroriste, certains politiques mènent leurs vendettas personnelles. Après le drame de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), la gauche s’est de nouveau interrogée sur son rapport à l’islam. Un après-midi, on a composé le numéro du nouveau maire socialiste de Montpellier. Et la discussion a vite bifurqué hors du terrain politique.

Michaël Delafosse, 43 ans, est également professeur d’histoire-géographie dans un collège de sa ville. «Je suis maire mais j’ai gardé une classe de quatrième parce que je ne voulais pas arrêter l’enseignement. C’est important pour moi. Forcément, lorsqu’un professeur de ma génération qui enseigne la même matière et le même programme que moi à des gamins d’un âge équivalent est tué, ça résonne d’une autre manière», lâche-t-il, froidement. L’édile de la cité héraultaise répète à plusieurs reprises : «Ça aurait pu être moi.» La conversation s’achève avec une promesse ; celle d’assister à l’un de ses cours.

Chevalier de La Barre

Vendredi 13 novembre : Michaël Delafosse accompagné de son «chat» (sa femme) dépose ses «loulous» (ses enfants) à l’école. Une habitude familiale. Le maire et la directrice d’hôpital s’organisent pour que la famille passe du temps ensemble. Chaque moment compte. Le professeur – qui enseigne trois heures par semaine – ne cesse de s’arrêter dans la longue montée qui sépare l’école de ses enfants de son collège. L’édile raconte ses plans pour la ville et bavarde avec les passants. Un cycliste, un parent d’élève ou un commerçant qui tire la langue à cause de ce foutu virus. Un sens du contact qui fait dire à ses opposants et ses amis que le maire a un côté «Chirac».

Les portes du collège «populaire» Fontcarrade s’ouvrent : les élèves masqués grimpent les escaliers dans le brouhaha. On s’installe au fond de la classe. Le cours commence. Michaël Delafosse enseigne depuis une vingtaine d’années. Le longiligne affiche le même look depuis ses débuts : costume et cravate. Une forme de «respect» pour la profession, justifie-t-il. Les élèves sont calmes, posés, tandis que l’enseignant ne cesse d’arpenter la pièce. Il ne donne aucun répit : «Merci de sortir le devoir que vous aviez à faire à la maison. Et je passe entre les rangs pour regarder.» Une biographie de Voltaire, au programme. Il circule entre les tables, lit au-dessus des épaules et parfois livre à voix haute une citation du philosophe. Puis, à la fin de sa tournée, il prend une craie et écrit le nom des penseurs majeurs des Lumières.

Les élèves ne découvrent pas leur existence. Montesquieu ? Une fille au premier rang dit : «C’est celui de la séparation des pouvoirs.» Rousseau ? Un garçon qui garde son manteau interroge : «Ce n’est pas celui qui parlait de l’école et de l’éducation ?» Voltaire ? Le mot «respect» revient souvent. Le socialiste préfère «tolérance». Michaël Delafosse invite un cas concret dans son cours : le 28 février 1766, le chevalier de La Barre, 19 ans, est condamné par le présidial d’Abbeville, pour «impiété, blasphèmes, sacrilèges exécrables et abominables», à avoir la langue tranchée, à être décapité et brûlé. Les élèves écoutent. Posent des questions sur le mot «torture». Le professeur n’esquive pas : il conte les «supplices subis» par le jeune chevalier de La Barre.

Polémique politicienne

La veille, attablé à l’heure du dîner en notre compagnie, il est revenu sur la mort de Samuel Paty : «C’était un vendredi, une élue de la mairie m’a envoyé la photo de la tête de mon collègue. Sur le coup je n’ai rien compris.» Ce soir-là, la colère gronde face à la barbarie alentour, puis l’émotion et la douleur, surtout. Pas question de participer à un hommage ou d’allumer des bougies, réagit-il au début. Les jours passent. Le courroux cède le terrain à l’envie de se rassembler. Place de l’Opéra de Montpellier, des collégiens, lycéens et étudiants ont lu l’article 11 de la Constitution avec l’artiste Grand Corps Malade.

Michaël Delafosse s’est toujours imaginé professeur d’histoire-géographie. Il ne sait pas trop pourquoi. C’est comme ça. Le socialiste – qui est engagé depuis la fac – a débuté en Seine-Saint-Denis. Il a fait des remplacements à Villemomble, Aulnay-sous-Bois et au Blanc-Mesnil. Les sentiments s’entremêlent. Il garde en tête les difficultés, la violence, les rires et les succès. Les défaites font également partie du jeu. «Comme les médecins ou les pompiers, on ne peut pas toujours gagner. De temps à autre, on voit un gamin sur le fil et il finit par tomber. Ce n’est jamais facile à vivre, parfois, on pleure ou on dort mal la nuit… mais c’est comme ça, c’est notre métier», conclut-il fataliste.

On tente de toucher un nerf avec une question sur la difficulté d’enseigner certaines matières dans les établissements des quartiers populaires. Il grimpe dans les tours. Michaël Delafosse lâche des «ignares» et «ignorants» au sujet des commentateurs sur les plateaux télé. Le professeur d’histoire-géographie livre quelques anecdotes, comme lorsqu’un jeune à Aulnay-sous-Bois lui dit que le 11-Septembre, c’est de la flûte : «J’ai pris le temps de lui expliquer après le cours, tranquillement, avec des faits, des images.» Il s’irrite encore : «Comment peut-on dire que nous ne pouvons pas enseigner la Shoah ? C’est faux. Evidemment, il y a eu des collègues en difficulté mais dans la très grande majorité des cas, les professeurs parlent de tous les sujets et il y a un dialogue nourri avec les élèves.»

A propos de dialogue, quelques voix s’élèvent à l’extérieur du collège. Une partie de l’opposition municipale reproche au nouveau maire son manque d’échanges. Samedi matin : la gauche tendance insoumise se pointe devant la gare Montpellier-Saint-Roch. La conseillère municipale Alenka Doulain et le militant Rhany Slimane décrivent Michaël Delafosse comme un politicard chevronné qui maîtrise principalement le sens de la communication. Selon eux, il marcherait sur les brisées de l’ancien bourgmestre (1977-2004) de la ville, décédé il y a dix ans. «Georges Frêche a imaginé Montpellier et depuis personne ne propose autre chose, Delafosse n’invente rien. Il veut tout faire comme lui», pourfend Rhany Slimane. Les deux trentenaires rappellent avec un petit sourire en coin que l’ancien hiérarque continuait, lui aussi, à enseigner durant ses nombreux mandats à la mairie.

«Espoir» et «gamins formidables»

Ces derniers temps, une polémique politicienne s’est invitée dans la ville. Le maire a mis en place, comme annoncé pendant sa campagne, une charte de la laïcité que les associations doivent signer avant toute demande de subventions. Un collectif, composé de citoyens et de politiques, a vu le jour pour s’opposer à cette convention. Ils y voient un index pointé en direction des musulmans. La loi 1905 suffit, rétorquent-ils. Rhany Slimane comprend la fronde : «C’est de la communication. Le maire a profité des attentats pour en parler partout dans la presse car c’est un sujet qui va dans le sens du vent.» Alenka Doulain poursuit : «Cette charte divise et c’est malheureux. Mais attention, nous ne sommes pas dans la démagogie, Delafosse peut aussi faire de bonnes choses comme le fait de mettre en place des aides aux devoirs gratuites pour les élèves, afin que l’Etat joue pleinement son rôle dans l’éducation.»

Le maire lève les yeux en l’air face aux accusations. Il propose un cours d’histoire pour rappeler les origines de la laïcité afin de souligner la place de la gauche. «Je ne m’attaque pas à une religion contrairement à une partie de la droite et de l’extrême droite. Chacun a le droit de croire ou non, de pratiquer ou pas, tant que ça reste dans la sphère privée. Je suis pour la tolérance et notre charte respecte la loi de 1905, dit-il avant de plonger dans l’eau. A la piscine, tout le monde sait que les shorts et les caleçons sont interdits mais il y a tout de même le règlement à l’entrée. C’est ce que je fais avec la charte, elle représente le règlement.»

A l’intérieur du collège, c’est plus calme. Le cours touche bientôt à sa fin. Michaël Delafosse propose à ses élèves de lire un texte de Voltaire. Le philosophe dénonce la «barbarie» de la France après la mort du chevalier de La Barre. En bas du texte, une note : l’auteur a écrit ce texte à Genève, en Suisse. L’enseignant explique que Voltaire a dû traverser la frontière car les risques étaient nombreux à l’époque. Il demande lesquels aux élèves qui lâchent en vrac des «torture», «guillotine», «prison», «mort»… «Censure», la bonne réponse, n’arrivera jamais. Le professeur l’explique rapidement et promet de revenir dessus la prochaine fois.

Michaël Delafosse range ses affaires dans son cartable. On fait le point avec lui avant que le professeur ne revête sa panoplie de maire. Lorsqu’on le lance sur la photo de classe, il rétorque : «Je ne regarde jamais la couleur de mes élèves.» Par contre, lorsqu’il raconte ses nombreuses anecdotes, il aime citer les prénoms pour en souligner la diversité. Le professeur fait des gestes de la main pour se replonger dans son cours. Il revient sur le moindre détail. Parle souvent «d’espoir» et de «gamins formidables» qui vivent parfois dans le «dur» à l’extérieur de l’établissement.

L’heure tourne. Michaël Delafosse lâche d’un air confiant : «Les élèves comprennent la complexité de l’histoire. Vous avez vu, aujourd’hui, on a parlé de liberté d’expression, de la pression du religieux. Ils savent tous que ça approche, que bientôt nous allons parler de ce qu’on a vécu en France ces dernières années et ça se passera très bien. En prenant le temps, on fait les choses comme il faut.» Dans une époque où la nuance et le temps long ont été remplacés par l’immédiateté ravageuse, l’élu s’interroge souvent face à la montée de la violence. Il s’inquiète aussi lorsqu’il pense à la crise sociale qui grossit. Le professeur, lui, est un poil plus optimiste.

Rachid Laïreche – envoyé spécial à Montpellier, Libération

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